Comme dans mon Aude adoptive quand je visite des châteaux cathares, je ne vois pas les ruines, mon imagination me suffit. Je vois les cathares en haut des murailles d’un château en effervescence, je vois Simon de Montfort le traître qui tente l’assaut. J’ai vu le bûché de Montségur ou 200 parfaits se jetterent dans les flammes, refusant de renier leur religion…….je vois encore…………..je revois l’usine et la noria de camion qui venaient déverser leurs grains de soleil, je vois les photos en noir et blanc que m’a laissé papa, pas de photos de l’usine, mais moi petiot 4 à 5 ans, elles défilent et je cherche là ou elles ont bien put être prises. Quand je pense avoir deviné, j’y dépose délicatement mes pieds d’adulte, et la vie se passe. Un bon de plus de 40 ans dans l’histoire, le lien est fait, je suis venu pour cela, uniquement cela. Je voulais mieux connaître et mieux comprendre mon père, vivre par contumace ce qu’il avait vécu, là ou il avait vécu, juste pour comprendre et savoir pourquoi nous avons quitté un jour ce pays. Mais aussi comme beaucoup je suppose retrouver ses racines, celles qui je crois font la différence entre le bien et le mal en ébauchant définitivement et profondément votre futur.
Des gosses s’approchent. Des touristes qui visitent une usine délabrée c’est bizarre, et très rare. Ils m’observent, un deux, trois quatre cinq dix vingt, au moins 20 gosses, plutôt 20 paires d’yeux interrogateurs m’observent, m’épient, me questionnent à distance respectable.
Je rompt le silence qui nous sépare, je m’approche vers l’un d’eux assis sur un mur, il est plus grand que les autres c’est peut être le chef, je lui dit en marocain
« Ça c’est l’usine de mon père quand j’étais petit »
Je suis le premier étonné, sans doute ais-je commis pleins de fautes de grammaire, mais il m’a compris, les mots son venus tout seuls, la musique en premier traçant le chemin des mots. « C’est vrai ?» Me répond il.
« C’est vrai ! Et en bas c’était ma maison, elle était en bois »
Je l’ai convaincu, alors il me prends en main, il connait cette usine comme sa poche, mieux, il n’a aucun mal à m’expliquer comment elle fonctionnait à l’époque de sa splendeur. La mémoire collective continue de traverser le siècle. Il me montre le pont bascule, du moins la fosse, la bascule a disparue. Il m’explique que les camions pesaient les olives ici avant de décharger là dans la fosse, de ça je m’en souviens parfaitement, puis les olives se vidaient par une trappe sur les meules géantes qui écrasaient les olives.
En contre bas les ouvriers recouvraient les nattes de ce mélange écrasé pour le disposer sous les énormes presses, qui ensuite, lentement, avec douceur extrayaient l’huile qui coulait dans une cuve de décantation. Nous descendons, il me montre les deux cuves en ciment, enfouies sous nos pieds.
Tout le système est mécanique et génial. Papa a utilisé la pente naturelle pour concevoir l’usine. Au plus haut les olives vierges, au plus bas l’huile dans les cuves, que les camions venaient charger par gravitation.
C’est exactement comme cela qu’il me racontait parfois, pas bien souvent sa vie à Douirane. Comme les gens humbles, et à fort caractère, ce n’était pas un bavard mon père. Il fallait vite saisir les quelques mots qu’il lâchait, comme des perles rares. Tout est là a sa place au millimètre, je suis très fier de moi, je suis né dans la maison en bas, et je n’avais que 5 ans quand nous avons quitté ce lieu. C’est exactement comme je l’imaginais, c’est tout comme je le vis dans mes rêves et dans le livre que je viens de terminer
Il y a maintenant au moins 30 gosses autour de nous, ils me parlent m’entourent, aucun ne mendie quoi que ce soit, ils questionnent, ils veulent tout savoir, jouent dans les ruines, c’est tout.
Je descends le petit chemin pour me retrouver au pied de ma maison, la pente que je trouvais fort pentu gamin n’est qu’un petit rédillion. C’est là que vers mes 4 ou cinq j’aurai fait une chute de poussette. On m’a raconté cet épisode épique de ma jeunesse. Elle aurait dévalée la descente pour se retourner en bas. Je m’en sort sain et sauf, mais bariolé de mercurochrome rouge, depuis ce jour, me vint le doux et poétique surnom de « peau rouge »
Un ouvrier, juste derrière la maison coupe de l’Avoine à la serpe. Je l’aborde et lui raconte mon histoire. Lui aussi connaît bien la vie de cette usine il me demande :
« Alors c’est toi alors le français de la zizine » (l’usine en phonétique marocain)
« Non, c’était mon père »
« Quand ton père était là, l’usine faisait du bien au alentour, tout le monde se souviens de l’usine du français et du juif »
Il ajoute
« Tu te souviens des arbres immenses, des oliviers qui entouraient ta maison ? Tu as vu ils sont morts et aujourd’hui ce ne sont des rejets qui poussent »
Je ne me souvenais de ce détail, c’est même là que j’ai pris ma première cuite, si !si a 5 ans. J’ai terminé les aperos des grands, et sous les arbres en arabe je traitais le fils de notre invité le jeune fils Verjus de fils de P……. Pour vous dire si mon vocabulaire arabe était complet. J’ai envie de craquer, mais je m’étais promis que non, alors je demande poliment à mes larmes de ne pas se dévoiler, elles acceptent, elles comprennent et se retirent pudiquement.